Les Chalutiers classiques - 1962 à 1972

 

Filage et Virage du Chalut

 Travail du Poisson

 

« Hors cul ! »

             L’ordre vient de tomber de la passerelle. Les hommes de quart l’ont retransmis dans tout le bord. Les matelots l’ont répété, comme dans la marine on répète chaque commandement pour en accuser réception. Que signifie cet appel gaillard ? Tout simplement : chacun à son poste ^pour mettre le chalut à l’eau. La première manœuvre, quand le chalutier est stoppé sans erre, tribord au vent, consiste à mettre à la mer le « cul du chalut » ; de là l’appellation « Hors cul ».

 

 

             Pourquoi stoppé et pourquoi tribord au vent ? Pour que le chalut s’écarte juste par le travers du navire grâce à la dérive de celui-ci. Quand l’énorme poche est le long du bord ; ses ailes sont reliées aux potences par les « bras » (fil d’acier reliant le chalut aux panneaux divergents). La barre étant à droite avec un angle de quinze à vingt degrés, on « file » (mettre à l’eau) les bras avec une légère erre en avant. Les bras  étant filés, leur extrémité munie d’une maille vient buter sur le « huit » des pantoires de chaque  « panneau divergent » ou planche à chalut. On maille les câbles ou    « funes » sur les planches, accrochées à l’extérieur des potences par une chaîne de suspente à croc. On soulage le panneau par son câble enroulé sur le treuil, on décroche les chaînes et on laisse filer jusqu’aux premières marques, à cinquante mètres du bout. L’ensemble s’écarte du navire par le double effort du vent et de la force centrifuge de la giration. On « souque » (serrer) les freins des tourets de treuil pour étaler sur les câbles, qu’ils ne filent plus. En avant et en route, on établit le chalut toujours évoluant sur tribord jusqu‘au cap choisi pour le filage. A ce cap on stabilise le chalutier. Sous l’effet de la vitesse acquise les panneaux divergent, celui de l’avant écartant, celui de l’arrière venant serres le hanche. Quand il est parallèle au navire, on desserre les freins et on file en opposant une résistance pour que les planches forçant l’eau continuent à s ‘écarter l’une de l’autre .On conserve le même cap jusqu’à ce que le chalut soit au fond.

             En général, la quantité de câble filée est de trois fois la profondeur. Quand la longueur choisie est obtenue, on réduit la vitesse à l’allure de pêche –quatre nœuds et demi environ- et on réunit les deux « funes », à l’aide d’une vérine, dans une poulie spéciale, sur tribord arrière du navire. Cette poulie, appelée  « chien ou poulie à gaboter », (maintient les deux câbles hors d’atteinte de l’hélice). A ce moment le navire est en pêche et peut évoluer indifféremment sur bâbord et sur tribord.

             Le chalut est filé et fait son  « trait ». Un trait. D’ou vient l’expression, l’orthographe du mot ? De tracter ou du trait que représente sur une carte marine le chemin parcouru par un chalutier qui drague en ligne ? Allez savoir ?

 

             Après avoir raclé le fond pendant deux heures, le chalut va être remonté. La passerelle a prévenu la machine afin que celle-ci soit prête à manœuvrer. Le treuil de pêche va entrer en action dès que la poulie à gaboter, ouverte, va libérer les deux câbles. Manœuvre exécutée, chien ouvert, le navire vient sur la droite, le câble de l’avant échappe suivi de peu par le câble de l’arrière. Le capitaine stoppe, le treuilliste embraye le tambour sur lequel le câble est enroulé et commence à virer. Quand les marques des funes sont à égale distance des potences, le treuilliste embraye les deux tambours et embraque les deux câbles ensemble. Les deux panneaux divergents étant filés à égale distance de l’arrière du navire, afin que le chalut soit établi perpendiculairement à la marche, il faut reprendre sur le câble avant un quantité égale à l’écartement des potences pour que lesdits panneaux arrivent ensemble, à sa place respective.

             Le trait ayant été terminé vent arrière, le navire s’équilibre seul en travers tribord au vent ; ce sera une manœuvre classique. Il n’y a plus qu’à attendre que les six cents mètres de câbles soient virés. Les hommes, à l’entrée du poste équipage, attendent qu’ils aient à intervenir.

 

             « Marques arrières ».

 

             Le treuilliste vient de lancer son cri, indiquant que seulement cinquante mètres séparent les planches des potences. Chacun se dirige vers sa place, l’un allumant une cigarette, l’autre changeant sa chique de joue, ajustant ses mitaines ou enfonçant profondément sa cravate dans le col de sa vareuse cirée.

             Le panneau arrière sort de l’eau et vient se placer sur la potence. Un marin passe la chaîne de suspente sous les deux branchons, la croche au croc prévu a cet effet et crie :

 

             « assure l’arrière ».

 

             Le treuil dévire, la planche est pendue sur sa chaîne, ce qui permet de démailler le câble qui la remorquait pour le relier aux faux bras lui-même relié au bras. Manœuvre identique pour la planche avant, arrivée presque simultanément, et l’on vire les bras.

             Les deux énormes sphères, dites  « sphères de guindineau », (ces sphères tiennent droites les deux extrémités des ailes du chalut) émergent, briquées comme de l’argent par le frottement sur le fond. Le treuilliste les arrête au ras des rouleaux de tête de potence, serre les deux freins et débraye les deux tambours porteurs de câbles.

             Le chalut proprement dit étant remonté en surface, il ne reste qu’a l’embarquer. Maillées à chaque extrémité du jeu de sphères, « deux manœuvres courantes »  (filin d’acier courant dans une poulie), en filin mixte  appelées « parpaillots », permettent, tout en carguant les deux ailes, d’amener à hauteur de lisse les chaînes dans lesquelles on croche les « cartahus ». Sitôt crochés, ceux –ci sont virés et, comme un chapelet dont les grains feraient cinquante centimètre de diamètre ; les douze mètres de sphères (rouleaux ou diabolos) doublent la lisse, coiffés de la partie supérieure du chalut (corde de dos munie de ses flotteurs, boules en verre ou en aluminium) et sont amenés sur le pont, à tribord.

             Le chalut est replié sur lui-même tout en étant hissé à bord par la cargue ou petit. Le fond ou cul dans, dans lequel le poisson est prisonnier, après avoir été maillé sur un palan en fil d’acier, est viré à l’aplomb du mât, à l’aide du treuil. La poche en forme de poire, la  « palanquée », 

 

 

ruisselante, est maintenue à quatre-vingts centimètres au-dessus du pont pour permettre à un marin, le « largueur de cul » de se glisser dessous et de larguer le nœud spécial qui ferme la palanquée à sa partie inférieure. Manœuvre difficile et dangereuse appelant dextérité et rapidité.

            Le nœud largué, la poche crache son contenu sur le pont, dans un premier parc, à tribord.

             Le poisson, encore vivant, grouillant, non satisfait de se trouver dans un élément qui n’est pas le sien, tape de la queue, se débat, puis acceptant la mort, reste couché sur le flanc, les yeux exorbités par la différence de pression, (à deux cent mètres de profondeur, il vivait par vingt kilos de pression au centimètre carré) et la gueule secoués par les spasmes de l’agonie.

 

             S’il reste du poison dans le chalut, on remet le cul dehors après l’avoir amarré à sa base et, en embraquant la partie avant du chalut à l’aide d’une vérine appelée « bosqueur » (vérine garnie au treuil servant a rentrer la partie du milieu du chalut), on oblige le poisson à refouler vers le fond, jusqu'à ce que la palanquée soit pleine. Palanquée embarquée et larguée sur le pont comme la première et ainsi de suite jusqu’a ce que tout le poisson soit à bord. La palanquée, pal dans le langage courant contient environ trois tonnes de poisson vivant ? Ces trois tonnes, si elles ne sont composées que de morue travaillables, fourniront après étêtage, éviscérage, et tranchage (soit 50% de perte), et déshydratation du solde (réduisant le poids à 30 à 35 % du poisson vif), une tonne de poisson salé. Donc 2/3 de perte.

 

 

(Source. Extrait du livre « Le grand métier de Jean Recher)

(Capitaine de la Jeune française et du Viking)

(Photos Forum Boutmenteux)

 

 

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