« Hors cul ! »
L’ordre vient de
tomber de la passerelle. Les
hommes de quart l’ont retransmis
dans tout le bord. Les matelots
l’ont répété, comme dans la
marine on répète chaque
commandement pour en accuser
réception. Que signifie cet
appel gaillard ? Tout
simplement : chacun à son poste
^pour mettre le chalut à l’eau.
La première manœuvre, quand le
chalutier est stoppé sans erre,
tribord au vent, consiste à
mettre à la mer le « cul
du chalut » ; de là
l’appellation « Hors
cul ».

Pourquoi stoppé et pourquoi
tribord au vent ? Pour que le
chalut s’écarte juste par le
travers du navire grâce à la
dérive de celui-ci. Quand
l’énorme poche est le long du
bord ; ses ailes sont reliées
aux potences par les
« bras » (fil d’acier
reliant le chalut aux panneaux
divergents). La barre étant à
droite avec un angle de quinze à
vingt degrés, on « file »
(mettre à l’eau) les
bras avec une légère erre en
avant. Les bras étant filés,
leur extrémité munie d’une
maille vient buter sur le
« huit » des pantoires de
chaque « panneau
divergent » ou planche à
chalut. On maille les câbles
ou « funes »
sur les planches, accrochées à
l’extérieur des potences par une
chaîne de suspente à croc. On
soulage le panneau par son câble
enroulé sur le treuil, on
décroche les chaînes et on
laisse filer jusqu’aux premières
marques, à cinquante mètres du
bout. L’ensemble s’écarte du
navire par le double effort du
vent et de la force centrifuge
de la giration. On
« souque » (serrer)
les freins des tourets de treuil
pour étaler sur les câbles,
qu’ils ne filent plus. En avant
et en route, on établit le
chalut toujours évoluant sur
tribord jusqu‘au cap choisi pour
le filage. A ce cap on stabilise
le chalutier. Sous l’effet de la
vitesse acquise les panneaux
divergent, celui de l’avant
écartant, celui de l’arrière
venant serres le hanche. Quand
il est parallèle au navire, on
desserre les freins et on file
en opposant une résistance pour
que les planches forçant l’eau
continuent à s ‘écarter l’une de
l’autre .On conserve le même cap
jusqu’à ce que le chalut soit au
fond.
En général, la
quantité de câble filée est de
trois fois la profondeur. Quand
la longueur choisie est obtenue,
on réduit la vitesse à l’allure
de pêche –quatre nœuds et demi
environ- et on réunit les deux
« funes », à
l’aide d’une vérine, dans une
poulie spéciale, sur tribord
arrière du navire. Cette poulie,
appelée « chien ou poulie
à gaboter », (maintient
les deux câbles hors d’atteinte
de l’hélice). A ce moment le
navire est en pêche et peut
évoluer indifféremment sur
bâbord et sur tribord.
Le chalut est filé
et fait son « trait ».
Un trait. D’ou vient
l’expression, l’orthographe du
mot ? De tracter ou du trait que
représente sur une carte marine
le chemin parcouru par un
chalutier qui drague en ligne ?
Allez savoir ?

Après avoir raclé le fond
pendant deux heures, le chalut
va être remonté. La passerelle a
prévenu la machine afin que
celle-ci soit prête à manœuvrer.
Le treuil de pêche va entrer en
action dès que la poulie à
gaboter, ouverte, va libérer les
deux câbles. Manœuvre exécutée,
chien ouvert, le navire vient
sur la droite, le câble de
l’avant échappe suivi de peu par
le câble de l’arrière. Le
capitaine stoppe, le treuilliste
embraye le tambour sur lequel le
câble est enroulé et commence à
virer. Quand les marques des
funes sont à égale distance des
potences, le treuilliste embraye
les deux tambours et embraque
les deux câbles ensemble. Les
deux panneaux divergents étant
filés à égale distance de
l’arrière du navire, afin que le
chalut soit établi
perpendiculairement à la marche,
il faut reprendre sur le câble
avant un quantité égale à
l’écartement des potences pour
que lesdits panneaux arrivent
ensemble, à sa place respective.
Le trait ayant été
terminé vent arrière, le navire
s’équilibre seul en travers
tribord au vent ; ce sera une
manœuvre classique. Il n’y a
plus qu’à attendre que les six
cents mètres de câbles soient
virés. Les hommes, à l’entrée du
poste équipage, attendent qu’ils
aient à intervenir.
« Marques
arrières ».
Le treuilliste
vient de lancer son cri,
indiquant que seulement
cinquante mètres séparent les
planches des potences. Chacun se
dirige vers sa place, l’un
allumant une cigarette, l’autre
changeant sa chique de joue,
ajustant ses mitaines ou
enfonçant profondément sa
cravate dans le col de sa
vareuse cirée.
Le panneau arrière
sort de l’eau et vient se placer
sur la potence. Un marin passe
la chaîne de suspente sous les
deux branchons, la croche au
croc prévu a cet effet et crie :
« assure
l’arrière ».
Le treuil dévire,
la planche est pendue sur sa
chaîne, ce qui permet de
démailler le câble qui la
remorquait pour le relier aux
faux bras lui-même relié au
bras. Manœuvre identique pour la
planche avant, arrivée presque
simultanément, et l’on vire les
bras.
Les deux énormes
sphères, dites « sphères
de guindineau », (ces
sphères tiennent droites
les deux extrémités des ailes du
chalut) émergent, briquées
comme de l’argent par le
frottement sur le fond. Le
treuilliste les arrête au ras
des rouleaux de tête de potence,
serre les deux freins et débraye
les deux tambours porteurs de
câbles.
Le chalut
proprement dit étant remonté en
surface, il ne reste qu’a
l’embarquer. Maillées à chaque
extrémité du jeu de sphères,
« deux manœuvres courantes »
(filin d’acier
courant dans une poulie),
en filin mixte appelées
« parpaillots »,
permettent, tout en carguant les
deux ailes, d’amener à hauteur
de lisse les chaînes dans
lesquelles on croche les
« cartahus ». Sitôt
crochés, ceux –ci sont virés et,
comme un chapelet dont les
grains feraient cinquante
centimètre de diamètre ; les
douze mètres de sphères
(rouleaux ou diabolos)
doublent la lisse, coiffés de la
partie supérieure du chalut
(corde de dos munie de ses
flotteurs, boules en verre ou en
aluminium) et sont amenés
sur le pont, à tribord.
Le
chalut est replié sur lui-même
tout en étant hissé à bord par
la cargue ou petit. Le fond ou
cul dans, dans lequel le poisson
est prisonnier, après avoir été
maillé sur un palan en fil
d’acier, est viré à l’aplomb du
mât, à l’aide du treuil. La
poche en forme de poire, la
« palanquée »,

ruisselante, est maintenue à
quatre-vingts centimètres
au-dessus du pont pour permettre
à un marin, le « largueur
de cul » de se glisser
dessous et de larguer le nœud
spécial qui ferme la palanquée à
sa partie inférieure. Manœuvre
difficile et dangereuse appelant
dextérité et rapidité.

Le nœud largué, la
poche crache son contenu sur le
pont, dans un premier parc, à
tribord.

Le poisson, encore
vivant, grouillant, non
satisfait de se trouver dans un
élément qui n’est pas le sien,
tape de la queue, se débat, puis
acceptant la mort, reste couché
sur le flanc, les yeux exorbités
par la différence de pression, (à
deux cent mètres de profondeur,
il vivait par vingt kilos de
pression au centimètre carré)
et la gueule secoués par les
spasmes de l’agonie.

S’il reste du
poison dans le chalut, on remet
le cul dehors après l’avoir
amarré à sa base et, en
embraquant la partie avant du
chalut à l’aide d’une vérine
appelée « bosqueur »
(vérine garnie au
treuil servant a rentrer la
partie du milieu du chalut),
on oblige le poisson à refouler
vers le fond, jusqu'à ce que la
palanquée soit pleine. Palanquée
embarquée et larguée sur le pont
comme la première et ainsi de
suite jusqu’a ce que tout le
poisson soit à bord. La
palanquée, pal dans le langage
courant contient environ trois
tonnes de poisson vivant ? Ces
trois tonnes, si elles ne sont
composées que de morue
travaillables, fourniront après
étêtage, éviscérage, et
tranchage (soit 50% de perte),
et déshydratation du solde (réduisant
le poids à 30 à 35 % du poisson
vif), une tonne de poisson
salé. Donc 2/3 de perte.

(Source. Extrait du livre
« Le grand métier de Jean Recher)
(Capitaine de la Jeune
française et du Viking)
(Photos Forum Boutmenteux) |