La grande pêche au début du XX° siècle

 

LES ENGAGEMENTS

 

Les chartes parties de 1920.

    Telles quelles, les trois chartes parties types  et, encore, la charte partie de Cancale ne s'appliquait-elle qu'à bien peu de navires marquaient, certes, un progrès appréciable sur le régime antérieur. Certaines dispositions archaïques et draconiennes en avaient disparu et, exception faite de la charte cancalaise, leur interprétation et, par suite, les règlements de comptes devenaient plus faciles.

    Toutefois, à l'usage, il apparut qu'il était encore possible de supprimer ou de modifier certaines dispositions critiquables, d'apporter des simplifications ou des précisions à des clauses encore obscures. Il fallait également tenir compte d'un fait nouveau très important, l'entrée en service des chalutiers à vapeur, plus nombreux d'année en année, et sur lesquels les conditions du travail, comme aussi la rémunération des hommes supposaient des conditions d'engagement totalement différentes de celles adoptées par les voiliers.

    En outre, depuis 1919, la loi de huit heures avait été rendue applicable à la marine marchande et il convenait, également, d'adapter les clauses relatives à l'organisation du travail à bord, au principe qu'elle venait consacrer. Une commission fut donc chargée, par arrêté du 8 janvier 1920, d'élaborer une charte partie type de travail et de recrutement des navires de Grande Pêche. La présidence en fut confiée à M. le Conseiller d'Etat Jules Gautier.

    Grâce à la bonne volonté et à l'esprit de conciliation dont ne cessèrent de faire preuve les représentants de l'armement et ceux des inscrits maritimes, l'accord se fit rapidement au sein de cette Commission et, le 3 mars 1920, étaient notifiés trois contrats types qui, malgré la date tardive de leur promulgation devinrent, dès la campagne 1920, la charte des armements pour Terre-Neuve et Islande

 

    Tous les armements sont donc, actuellement, faits suivant l'une des chartes parties suivantes :

 

                     1°) Charte partie des chalutiers à vapeur (Terre-Neuve et Islande).

                     2°) Charte partie des voiliers de Terre-Neuve.

                     3°) Charte partie des voiliers d'Islande.

 

a)     Pour les chalutiers.

 

    Compte tenu des différences essentielles résultant de la technique de la pêche, la charte partie type des chalutiers à vapeur semble inspirée de l'ancienne charte partie des voiliers de Fécamp (engagement au cinquième).

    Aux termes de l'article 15, il est, en effet, alloué à l'ensemble de l'équipage un cinquième du produit net de la pêche, réparti suivant les usages locaux. (Le produit net s'entend du prix de livraison au port d'armement et à Saint-Pierre-Miquelon.) En cas de transbordement sur chasseur ou wagon ou livraison dans un autre port, tous les frais engagés pour augmenter les recettes seront déduits du montant du compte de vente. II convient d'y ajouter le fret des marchandises ou morues, même de celles appartenant à l'armateur et la moitié du fret des passagers à destination ou en provenance de Saint-Pierre-Miquelon.

 

    En plus du cinquième, il est alloué aux matelots sans spécialités, chauffeurs et soutiers, une gratification de fin de campagne de :

150 francs pour un produit de pêche de 1.200.000 francs.

250 francs………………………………....1.500.000 francs

350 francs………………………………….1.800.000 francs

 

    Sur ce cinquième, il est donné, suivant les usages locaux, des avances mensuelles à titre d'acompte, comme minimum de salaire garanti, quel que soit le produit de la pêche. Ces acomptes mensuels sont payés par mois échu et le taux en est porté au rôle d’équipage.

    Les hommes reçoivent avant le départ une avance de deux mensualités qui est versée après réception du certificat médical ; mais, bien que ce versement soit effectué devant l'Administrateur, il n'existe aucun recours contre le marin qui, même après avoir signé en sa présence son contrat d'engagement, refuse d'embarquer lors de l'établissement du rôle. Ce cas est, heureusement, assez rare, mais il serait désirable que l'Administrateur ait les moyens d'amener l'homme à respecter ses engagements

 

 

    Comme sous le régime de l'ancienne charte-partie de Fécamp, la rémunération des équipages de chalutiers se compose donc de deux éléments:

a) une partie fixe constituée par les acomptes mensuels dont le taux varie suivant les usages locaux et la fonction à bord du bénéficiaire.

b) une part du produit de la vente de la pêche (différence entre les mensualités versées en cours de campagne et la part acquise. En cas de sinistre la somme assurée sur le produit de pêche serait répartie suivant les mêmes dispositions, déduction faite de la prime d'assurance.

    La charte partie des chalutiers de Saint-Malo contient en outre une disposition aux termes de laquelle il est fait à chaque homme une avance de 600 francs. Cette avance lui est versée au moment de la remise de son « permis d'embarquement» et de son certificat médical à l'armateur, et pour le 25 février au plus tard ; elle est reprise sur le 1/5 revenant à l'équipage.

    D'ailleurs, en ce qui concerne toujours ce paiement des avances et acomptes mensuels il semble que les armateurs de Saint-Malo aient tenu à respecter les usages locaux ; c'est ainsi que leur charte partie stipule qu'ils est envoyé, huit jours après le départ, aux familles des hommes qui délèguent, une mensualité entière, les deux mois suivants, une demi mensualité et, par la suite, des mensualités entières, déduction faite des sommes avancées aux hommes en cours de campagne.

 

    Ce mode de rémunération présente sur l'ancien régime de la rémunération fixe avec pourcentage, l'avantage de limiter les charges de l'armement, en particulier dans les mauvaises années et d'intéresser les marins au rendement de la pêche.

    Toutefois, les armateurs font remarquer que ces derniers ont une tendance à réclamer une mensualité garantie de plus en plus forte, et par suite une participation moindre, de façon à éviter les aléas d'une campagne de grande pêche.

 

 Durée de l'engagement

    Aux termes de l'article 2 de la charte partie type, l'équipage est engagé à partir du jour de l'armement et sans interruption, jusqu'au désarmement et au plus tard le 31 janvier de l'année suivante, sauf en cas de force majeure. Il n'est pas fait de distinction entre les lieux de pêche et, par suite, un homme ne saurait arguer d'une relâche en France, à la fin de la campagne d'Islande, par exemple, pour demander son débarquement; nous sommes ici, en effet, en présence d'un contrat à durée déterminée ; d'ailleurs, pour éviter toute controverse, la charte partie des chalutiers de Fécamp porte en tête la formule suivante : « Les soussignés déclarent s'être volontairement engagés à faire, pendant l'année 192. , la pêche de la morue sur les bancs d'Islande, de Terre-Neuve et tous autres lieux».

    Celle de Saint-Malo contient, à cet égard, une clause encore plus précise, si possible. Les armateurs ont ainsi, fort justement, voulu éviter les difficultés sans nombre qu'entraînerait pour eux le renouvellement de leurs équipages en pleine campagne de pêche (calcul des avances, recrutement de spécialistes, perte de temps, etc.)

 

Obligations de l'équipage. Organisation du travail à bord

    Les engagés, depuis le jour où ils ont passé la revue, sont tenus de travailler à bord du navire, pour en accélérer l'armement; leurs journées leur sont payées au prix de la spécialité sur la place. Ils doivent se rendre à bord au jour fixé par l'armateur et, sont dès ce moment à la disposition de ce dernier, soit pour mettre le navire en rade, soit pour partir directement, vers le lieu de destination.

    Par contre, si le départ est retardé par le fait ou dans l'intérêt de l'armateur au delà de la date extrême fixée dans l'engagement, il est dû au marin, par journée de retard, une indemnité de taux égal à celui des salaires des marins du commerce.

    Enfin, pendant tout le cours du voyage, et en cas de relâche dans un port quelconque, même celui de départ, les engagés sont tenus de faire, sans indemnité, tous les travaux commandés dans l'intérêt de l'expédition. (La charte-partie de Saint-Malo, ajoute « même en dehors de leur spécialité) ; c'est ainsi qu'en dehors de la pêche et de la préparation du poisson, ils doivent effectuer le transbordement et le déchargement du poisson pendant toute la campagne, assurer le service des treuils, etc. La charte partie-type stipule formellement que « l'équipage ne pourra être tenu d'aider à l'embarquement du charbon, que lorsque la main-d’œuvre locale sera insuffisante» et cette clause est reproduite dans presque tous les contrats, sauf à Saint-Malo, où les conditions d'engagement portent au contraire, pour les hommes obligation d'aider à l'embarquement du charbon dans les ports et au transbordement d'une cale à l'autre pendant les traversées. Cette disposition est critiquable, en ce qu'elle permet d'imposer aux pêcheurs, en dehors de leurs fonctions habituelles, un travail pénible qui ne devrait leur être demandé qu'exceptionnellement ; elle devrait être modifiée conformément au contrat type adopté sans modifications dans les autres ports.

    En route, le service est divisé en 3 quarts, et la durée du travail effectif est fixée à 8 heures par jour. Sur les lieux de pêche, le service est organisé suivant les nécessités de la pêche, à la condition, toutefois, qu'un repos minimum ininterrompu de 8 heures, soit assuré journellement au personnel. La de ce repos peut être réduite à 6 heures, repas non compris, pendant 5 jours consécutifs.

    On ne peut en effet songer établir, à ce sujet, une réglementation rigoureuse ; le poisson doit être travaillé dès que le chalut l’a déversé sur le pont.

    Dans le port et sur rade abritée, la durée de travail effectif, service de garde ou de veille compris, est fixée à 8 heures par jour. Toutefois, pour le déchargement du poisson salé, la durée de la journée de travail effectif pourra être portée jusqu'à 12 heures.

    Enfin, l'article 2 stipule que dans le cas où il y aurait heu à allocation pour heures supplémentaires, le taux en sera celui indiqué pour les navires de commerce. La charte de Saint-Malo est muette sur tout ce qui touche à la durée du travail à bord. Il conviendrait, cependant, que les hommes puissent être, à tous moments, exactement renseignés à cet égard. Il y a une lacune à combler.

 

Pénalités diverses

    Les pénalités pécuniaires sont assez légères pour ne pas causer un réel préjudice à l'homme qui en est frappé ; en outre, les cas dans lesquels elles sont infligées sont limitativement désignés dans la charte type (amende de 6 francs à l'homme qui manque la mise en rade, de 50 francs à celui, qui sans motif plausible, retarde le départ du navire). Ces amendes qui ne sont, d'ailleurs que prélevées sur les salaires du retour, s'ajoutent au produit de la pêche, et ne bénéficient donc pas, exclusivement, à l'armement.

    A noter qu'à Saint-Malo il n'est pas établi d'amende forfaitaire ; le marin est passible de dommages-intérêts proportionnés au retard et qui sont ajoutés au produit de la pêche.  Les hommes qui refusent d'embarquer ou de travailler perdent le bénéfice de la moitié de leur participation. Cette retenue doit, semble-t-il, s'ajouter au produit de la pêche, mais aucun article ne le spécifie réellement.

    A Saint-Malo, c'est le bénéfice de sa participation entière que perd le marin qui refuse d'embarquer ou est débarqué à la suite d'une punition disciplinaire; il en est de même de celui débarqué pour incapacité ou insubordination, et qui est réputé par suite, comme n'ayant pas rempli jusqu'au bout ses engagements. Les conditions de ce port semblent ainsi toujours plus rigoureuses que celles adoptées partout ailleurs, et cependant, il ne semble pas qu'elles aient donné lieu à réclamation. Il est vrai que le nombre des chalutiers auxquels elles s'appliquent est encore peu élevé.

    Enfin, aux termes de l'article 3 l'armateur a la direction économique de l'expédition et se réserve le droit de faire débarquer ou transborder des morues à Saint-Pierre-Miquelon et en Islande.

    La majorité des contrats stipule à l'appui de cet article que « s'il y a inobservation d'une de ses clauses, le préjudice causé à l'armateur ou à des tiers sera déduit du 1/5 revenant à l'équipage». Il est, en effet indispensable, pour la réussite de la campagne que l'autorité incontestable de l'armateur soit sanctionnée. Toutefois, il est à craindre que l'évaluation du dommage subi soit une source de difficultés continuelles, d'autre part, l'établissement d'un forfait en cette matière est irréalisable, par suite de la diversité des éléments qui interviennent dans l'appréciation du préjudice subi.

    Enfin, l'article 5 § 2 de la Charte partie type reconnaît au capitaine le droit de remettre simple matelot tout spécialiste de la pèche ayant fait preuve d'incapacité professionnelle. Rien de plus logique ; mais que  penser de la clause insérée dans la charte partie de Saint-Malo, aux termes de laquelle, le capitaine se réserve le droit de débarquer les marins pour incapacité, ou insubordination sans indemnité.

 

Obligation de l'armateur

    Ainsi que nous l'avons vu au début de ce paragraphe, « Il est alloué à l'ensemble de l'équipage un cinquième du produit net de la pêche réparti suivant les usages locaux». En cas de sinistre, la somme assurée sur le produit de la pêche sera répartie sur les mêmes bases que la pèche elle même, déduction faite de la prime d'assurance. Les hommes malades ou blessés ont droit, jusqu'au jour du débarquement, à la participation acquise à ce moment.

    Les salaires de maladie dus par l'armateur par application de l'article 262 du Code de commerce sont du taux des salaires de commerce. Les frais de conduite sont à la charge de l'armateur lorsque l'homme est débarqué dans un port autre que celui de l'armement. La somme à lui payer de ce chef doit lui permettre de rejoindre à son choix, son quartier ou le lieu de son engagement.

    L'article 21 impose d'ailleurs un délai maximum pour le règlement des comptes. Cette opération doit avoir lieu au plus Lard 15 jours après la dernière livraison dans un port de la métropole. A compter de l'expiration du délai ci-dessus et jusqu'au jour du paiement, l'armateur est tenu de payer les intérêts des sommes dues au taux légal, plus une indemnité de 5 %. Il est tenu, d'ailleurs, de délivrer à chaque membre de l'équipage, avant le paiement, son compte individuel de salaires. La charte partie des voiliers dispose que ce compte doit parvenir au marin et à l'Inscription maritime, 8 jours au plus tard avant la revue de désarmement ; celle des chalutiers ne contient, il est vrai, aucune disposition concernant le délai de délivrance du compte individuel et sa remise à la Marine, mais les conditions sont les mêmes et, d'ailleurs, ce dépôt est prescrit par l'ordonnance du 9 octobre 1837, déclarée d'ordre public, par le Décret loi du 4 mars 1852, et toujours en vigueur.

 

    Les armateurs doivent donc remettre :

 1°) à l'Inscription maritime : un compte sommaire des résultats de la campagne, certifié par eux, et faisant connaître ce qui revient à chacun des hommes de l'équipage.

2° à chaque marin un compte individuel comprenant tous les chiffres du compte général.

     Le compte destiné à l'Administrateur doit être appuyé des pièces originales : bordereaux de vente, factures de dépenses, récépissés pouvant servir à les justifier.

    Malgré tout, le contrôle de l'Administrateur et a fortiori celui des capitaines et des simples pêcheurs, est ,en fait, quasi inopérant, le dépouillement d'un compte de pêche étant toujours assez compliqué. Il serait à souhaiter de voir généraliser le système forfaitaire adopté par les armateurs de chalutiers de Fécamp, lorsque les circonstances leur ont imposé un transbordement sur chasseur ou wagon ou la livraison dans un port autre que Fécamp, Saint-Pierre, ou, semble-t-il, tout autre port d'armement.

    Les frais engagés, dans les conditions ci-dessus, et qui sont déduits du montant des comptes de vente font l'objet d'un forfait établi comme suit (campagne 1925) : 10 francs par quintal de morues pour livraison par les navires pêcheurs eux-mêmes, par voie de fer ou par caboteurs.

x francs par homme embarqué, au profit de la Société des « œuvres de Mer». On déduit également du montant du compte de vente, les taxes sur le chiffre d'affaires et tous impôts analogues pouvant être créés. Cette question du paiement par les marins de la taxe de 1,30 % sur le chiffre d'affaires, avait failli, lors des revues d'armement pour la campagne 1926, être la source d'un conflit entre les armateurs de Saint-Malo et le Syndicat des marins de ce port. Les premières revues avaient été marquées par le refus des pêcheurs d'accepter de payer cette taxe et n'avaient pu avoir lieu. Par la suite, les armateurs restèrent sur leurs positions et les marins terre-neuviers ne soulevant plus aucune objection au paiement de la dite taxe, d'ailleurs acquittée par eux sans protestation depuis sa création, les revues suivantes se passèrent sans incidents.

    Au retour de la campagne de 1926, cette question fut de nouveau évoquée, les armateurs et les marins dénoncèrent la charte partie ci-dessus. L'entente ne put se faire au sein de la Commission paritaire réunie à Paris le 11 décembre 1926, mais, le 15 janvier 1927, les délégués des deux parties, réunis à Saint-Malo par M. l'Administrateur en Chef Baudoin, tombaient d'accord sur les bases d'une charte-partie qui se différencie notamment de la précédente en ce que le chiffre d'affaires reste entièrement à la charge de l'armement.

 

b)     Pour les voiliers

    De même que l'ancienne charte partie de la région bretonne (engagement au quart net), la charte partie adoptée par les voiliers se caractérise par la participation directe de l'équipage aux charges et bénéfices de la campagne, et la rémunération de chaque homme en particulier, proportionnellement à son travail personnel. Indispensable pour les voiliers, ce mode d'engagement, stimule par l'appât d'un gain plus important en fin de campagne, l'activité des dorissiers, et peut-on le dire, leur témérité.

    Aux termes de cette charte partie, il est attribué à l'équipage de chaque doris, 26 % de la valeur de vente nette des morues pêchées par lui, produit de ces 26 % est partagé entre le patron et l'avant dans la proportion de 5/9 au patron et de 4/9 à l'avant ou partagé également, s'il y a convention entre eux à ce sujet. S'il était impossible de produire le registre ci-dessus, on aurait recours aux déclarations concordantes du capitaine et des dorissiers. Dans la charte partie de Saint-Malo pour 1927 ce pourcentage est élevé à 28 % lorsque la moyenne des ventes des doris atteint 70.000 francs. Les saleurs et les seconds, dans ce cas, reçoivent 1 % de plus.

 

Durée de l'engagement

    A compter de la date d'engagement, l'engagé ne peut contracter un autre engagement qui ne lui permettrait pas d'être présent en temps voulu, et l'armateur ne peut rompre l'engagement. Toutefois, dans le cas où depuis la date de l'engagement, il serait constaté chez l'engagé une maladie, une blessure, une infirmité le mettant dans l'incapacité de faire son travail, l'armateur conserve le droit de mettre fin au contrat, mais seulement après visite du médecin officiel, et d'accord avec l'Administrateu de l'Inscription Maritime.

    Les engagés sont depuis le jour où ils ont passé la revue, obligés de travailler à l'armement du navire et, dans ce cas, leurs journées leur sont payées au prix courant de la spécialité sur la place.

L'engagement pour la campagne est terminé, lorsque le poisson est débarqué dans le port de la métropole choisi par l'armateur qui a la direction économique de l'expédition et se réserve le droit, sauf stipulation contraire, de faire débarquer des morues à Saint-Pierre et Miquelon.

 

Obligations de l'équipage. Organisation du travail à bord.

    Le capitaine a la direction de la navigation et, s'il y a un subrécargue, la direction de la pêche d'accord avec ce dernier. Dans l'ensemble, ces obligations sont identiques à celles imposées aux équipages de chalutiers : l'organisation du travail à bord des voiliers est, d'autre part, régie également par la loi du 2 août 1919 (division du service en trois quarts et fixation de la durée du travail effectif à 8 heures par jour).

    Au départ, les engagés doivent se rendre à bord le jour qui leur est fixé par l'armateur. Tout homme qui manque la mise en rade, est tenu de payer la somme de 6 francs. Cette amende est portée à 50 francs pour celui qui retarde sans motif plausible le départ. Il doit en outre rejoindre le navire à ses frais.

    Pendant tout le cours du voyage et, en cas de relâche dans un port quelconque, même celui du départ, les engagés sont tenus de faire tous  les travaux commandés dans l'intérêt de l'expédition, sans indemnité pendant les 10 premiers jours. Passé ce délai, ils sont rémunérés au taux officiel des salaires du commerce.

    Tous les hommes de l'équipage sont tenus de pêcher la boette nécessaire la pêche. L'armateur se réserve cependant le droit d'en acheter à telles conditions qu'il jugera opportunes. Le prix d'achat est alors déduit du produit de la pêche. Les marins qui, au cours de fa campagne, se sont égarés sur les bancs et ont été recueillis par un autre navire, doivent, sauf incapacité physique, travailler à bord de ce navire; dans ce cas, ils sont rémunérés d'après le nombre de morues qu'ils auront pêchées ; Ceux qui ont été rapatriés à Saint-Pierre et Miquelon doivent, autant que possible, être ramenés à bord de leur navire. Il en sera de même, après guérison, pour les engagés laissés à terre pour cause de maladie.

    A la fin de la campagne, si le retour s'effectue au port d'armement, l'équipage doit amarrer le navire à son poste d'hivernage. Dans le cas contraire, et afin d'éviter les difficultés que ne manquerait pas de rencontrer le capitaine pour recruter un nouvel équipage, les marins désignés par le capitaine sont tenus de ramener le navire à son port d'hivernage. La désignation des marins qui doivent ainsi demeurer à bord doit avoir lieu au plus tard le dixième jour après l'arrivée dans le port de débarquement, et, afin d'éviter qu'ils puissent se trouver désavantagés par rapport à leurs camarades, ils reçoivent, du jour du débarquement de ces derniers, les salaires et indemnités officiels du commerce.

 

Obligations de l'armateur

    L'armateur doit, à chacun des hommes qui composent l'équipage, depuis le capitaine jusqu'au mousse, une somme fixe dénommée  « avance» payée avant le début de la campagne, et une part proportionnelle à la valeur des produits péchés. Les salaires se composent donc des avances et des salaires de retour.

    Les salaires de maladie, mis éventuellement à sa charge par application de l'article 262 du Code de commerce sont calculés d'après le taux officiel des salaires du commerce.

 

« Pur don » ou « Denier à Dieu ».

    Dans beaucoup de ports de Grandes Pèches, capitaines et subrécargue, lorsqu'ils composaient leurs équipages, cherchaient dès le retour des navires à s'assurer pour la campagne suivante le concours- des meilleurs pêcheurs, et pour ce faire, leur remettaient de la main à la main, une somme parfois importante qui demeurait rigoureusement secrète et ne figurait pas, à fortiori, sur le rôle d'équipage.

    L'Administration de la Marine s'employa de son mieux, à lutter contre ces pratiques qu'elle jugeait dangereuses et, de fait, elles semblaient fortement en décadence, mais, en présence des difficultés que présente actuellement le recrutement des équipages, le pur don a reparu, sans que la charte partie en fasse naturellement mention.

    Dans certains ports, comme Fécamp où la crise de la main-d’œuvre, a particulièrement sévi, ce «pur don» atteint, pour de simples marins, jusqu'à 4.000 francs. Les armateurs de Saint-Malo se proposent de ne plus accorder de « denier à Dieu » mais le pourront-ils et le pouvant, résisteront-ils au désir légitime de s'assurer par ce moyen, les meilleurs pêcheurs ? Il est permis de rester sceptique à cet égard.

 

Paiement des avances.

    Le montant des avances est fixé chaque année et porté à la charte partie. Voici à titre documentaire quel était leur montant à Fécamp, pour la campagne 1925 :

 

                               Capitaine, maître de pêche, second, saleur…… 2.500 Fr.

                               Matelots ……………………………………………. 2.000 Fr.

                               Novices …………………………………………….. 1.200 Fr.

                               Mousses ……………………………………………… 750 Fr.

 

    Le versement s'en effectue comme suit :

    Les 3/4 sont payés en passant la revue au bureau de l'inscription maritime et entre les mains de l'engagé, "et la deuxième partie, entre les mains de la femme ou des ayants droit, désignés, par le marin, aussitôt après le départ du navire.

    Ces avances sont « à valoir » sur les salaires, c'est-à-dire que leur montant est déduit de la part revenant au marin lors de la répartition effectuée au retour. La charte partie ne spécifiant d'ailleurs pas, si ces salaires sont ceux dus pour le travail ou les salaires de maladie; il serait possible à un armateur d'opérer, le cas échéant, la compensation du salaire de maladie dû à un marin avec le montant des avances qui lui avaient été versées au départ pour la campagne. Cette thèse a été confirmée par un jugement du 18 mars 1924 du Tribunal de Commerce de Saint-Malo.

 

Salaires de retour.

    Les conditions d'engagement des voiliers de Terre-Neuve créent une véritable association entre armateurs et pêcheurs, celui-ci apportant son navire avec son matériel d'armement et fournissant les vivres, ceux-là fournissant leur travail, et tous participants aux dépenses faites dans l'intérêt de l'expédition.

     Ce caractère ne se retrouve pas dans la charte partie des chalutiers, c'est qu'aussi bien les conditions économiques de la pêche telle qu'elle est pratiquée sur ces navires, ne permettraient pas cette étroite liaison.

    En outre, en vue de stimuler l'initiative individuelle et d'augmenter le rendement, a-t-on maintenu le mode de répartition adopté par l'ancienne charte partie de Saint-Malo qui, à l'inverse de la charte partie Fécampoise, rémunérait les équipages de doris en proportion directe du nombre de morues capturées par chacun d'eux.

    Les salaires de retour sont établis comme suit :

    Il est établi une totalisation de tous les produits comprenant la vente (nette d'escompte et de commission) des morues, huiles, rogues, le fret des marchandises ou morues, même si ces marchandises et morues appartiennent à l'armateur, la moitié du fret des passagers et les pénalités prévues contre les hommes manquant la mise en rade ou retardant le départ sans motif plausible. En outre, si l'armateur a envoyé son navire chercher du sel avant de se rendre au banc, on y ajoute le fret de ce sel, calculé suivant le cours du jour du départ du port d'armement, déduction faite] des dépenses supplémentaires de l'expédition au port d'embarquement du sel. Il est déduit de ce total le montant des primes d'assurances sur armement, avances et excédents de pêche, l'allocation pour huile accordée au saleur, et le prix des fûts, les frais de conduite et de salaires au mois, en fin de campagne, s'il y a lieu, de salaires pour travaux commandés et d'heures supplémentaires accomplies dans l'intérêt de l'expédition ;d'indemnités journalières d'absence et de salaires de retour des dorissiers égarés sur le banc ; les frais de déchargement et de pesage de la cargaison si le déchargement se fait au port d'armement ou n'est pas effectué par l'équipage dans tout autre port ; le montant des droits de douane payés pour l'entrée de la morue à Saint-Pierre et Miquelon et parfois, une somme fixe au profit de la Société des Œuvres de Mer.

    Le reste constitue le produit net de la pêche, qui, divisé par le montant des morues pêchées suivant le registre journalier dont la tenue est obligatoire, et en cas de perte du registre, suivant les déclarations concordantes du capitaine et des dorissiers intéressés, donne le prix de revient d'une morue. Le nombre des morues pêchées, réellement, est en fait, abondé de la quantité de poissons attribuée aux dorissiers employés à pêcher la boette, et c'est d'après ce total fictif qu'est calculé le prix de revient. Cette disposition contenue dans le contrat type, reproduite dans toutes les chartes parties a pour but de majorer la part revenant à l'armement et a été insérée en considération de ce que l'armateur fournit gratuitement les engins nécessaires à la pêche de la morue comme de la boette, et de ce que tous les doris devraient eux-mêmes pêcher leur boette. Il est attribué à l'équipage de chaque doris 26% de la valeur de vente nette des morues pêchées par lui ; le produit de ces 26 % est partagé entre le patron et l'avant dans la proportion de 5/9 au patron et de 4/9 à l'avant ; ou partagé entre eux, également, s'il y a convention dans ce but entre les deux dorissiers. 

    Les gages des marins n'embarquant pas (chauffaudiers) ou n'embarquant qu'accidentellement dans les doris sont payés par l'armateur sur la part qui lui revient et sont fixés comme suit :

 

Capitaine : conditions spéciales portées au rôle.

Second : embarquant ou n'embarquant pas dans les doris : 20 ou 22 % sur la moyenne de vente des doris suivant que l'équipage comprend plus ou moins de 30 hommes.

Saleurs : 18 % sur la moyenne de vente des doris.

Novices : 7,50 %  sur la moyenne de vente des doris.

Mousses : 6,50 % sur la moyenne de vente des doris.

Lieutenant : 2 % sur la moyenne de vente des doris.

Maître : 1 % sur la moyenne de vente des doris.

Le cuisinier est payé sur la moyenne de vente des doris à raison des 4/9.

 

    Nous avons vu plus haut que la totalité des primes d'assurances sur avances, armement et excédents dépêche, était déduite du produit de la vente nette. Les pêcheurs participent donc à l'assurance de la pêche.

    Aussi, en cas de sinistre, est-il procédé de la manière suivante à la répartition des sommes assurées à ce titre.

1°) Si le navire fait naufrage avant d'avoir pêché, l'indemnité d'assurance est acquise intégralement à l'armateur.

2°) Si l'événement se produit quand les excédents de pêche ont été couverts, le règlement a lieu comme si le navire était arrivé à bon port.

3°) Dans le cas d'un sinistre n'entraînant pas la perte du navire et n'occasionnant qu'une dépréciation de l'armement et de la cargaison, le règlement a lieu sur le montant de la vente du poisson déprécié auquel s'ajouteront les indemnités d'assurance sur armement et excédents de pêche.

 

Règlement des comptes.

    Avant le paiement, l'armateur est tenu de délivrer à chaque membre de l'équipage, son compte individuel de salaire.

   Ce compte doit comprendre tous les chiffres du compte général et doit parvenir au marin et à l'Inscription maritime 8 jours au plus tard avant la revue de désarmement. Le compte fourni à l'Inscription Maritime doit être appuyé des pièces originales : bordereaux de vente, factures de dépenses, etc... Cette disposition à l'exécution de laquelle les Administrateurs doivent tenir la main s'explique par ce fait que les marins, engagés à la part, ne sont pas de simples salariés au regard des armateurs, mais des associés véritables, participant aux chances heureuses comme aux chances malheureuses de l'entreprise commune. Je crois devoir le rappeler encore, il s'agit ici d'une véritable association en participation à laquelle les marins apportent leur travail et leur capacité professionnelle, l'armateur fournissant de son côté le bâtiment, l'armement et la nourriture de l'équipage pendant la durée de la campagne.

     La rémunération de cette double série d'apports se calculant sur le prix de vente du produit de la pêche, il est indispensable que l'armateur, gérant de l'association, fournisse à ses co-associés toutes les justifications prescrites par le code civil et le code de commerce en matière de sociétés. Ces justifications ne pourraient être mieux fournies que par l'intermédiaire de l'Administrateur qui est donc fondé à exiger communication des diverses pièces justifiant les imputations des comptes de pêche (prix de vente quantités vendues, taux du courtage, prix d'achat des boettes, frais de déchargement, etc.).  Il faut bien dire d'ailleurs, que les armateurs à la grande pêche reconnaissant dans cette mesure, le meilleur moyen de prévenir contestations et conflits, n'ont jamais refusé de donner toutes facilités aux Administrateurs pour l'accomplissement de leur tâche.

    Lorsque la livraison est faite au port de désarmement le paiement doit être effectué 20 jours après la fin du désarmement si la vente a lieu au comptant. Si la vente a lieu à un mois, il doit être effectué dans les 10 jours qui suivent la fin du déchargement. Si la livraison a été faite dans un autre port, ce délai de 20 jours ne commence à courir qu'après l'arrivée du navire dans le port de désarmement.

Faute par l'armateur de s'exécuter dans les délais ci-dessus, il doit payer aux hommes les intérêts des sommes dues, au taux légal, plus une indemnité de 5 %.

    En cas de naufrage, le règlement de compte basé sur l'indemnité d'assurance doit se faire dans le délai de 20 jours à partir de la date à laquelle l'armateur a reçu cette indemnité. Les intérêts à 5% courent, après expiration de ce délai, si le retard incombe à l'armateur. Dans le cas Où l'armateur achèterait lui-même ses produits de pêche le prix d'achat serait égal à la moyenne de prix des ventes effectuées pendant la saison, c'est à-dire, au barème du port de livraison, ce barème étant établi, autant que possible, par la Bourse de commerce ou la Chambre de commerce. Le règlement des comptes et le paiement des salaires doivent être, alors, effectués dans les 20 jours du débarquement du poisson.

    Toutefois, si le barème définitif ne peut être fixé, le règlement a lieu sur la base des prix pratiqués jusqu'à l'expiration d'un délai de 30 jours après la fin de la livraison du navire ; et des avances s'élevant jusqu'à 60 % de la part revenant à l'équipage, sont payées aux engagés sur la base du prix le plus bas pratiqué jusqu'au moment de l'arrivée du navire.

    Cette charte partie, due à une étude approfondie et sincère, a, jusqu'ici, donné toute satisfaction, et les conflits entre armateurs et marins sont devenus de moins en moins fréquents. Il est d'ailleurs spécifié qu'en cas de contestation sur son interprétation, il serait fait application de la procédure de conciliation et d'arbitrage prévue par l'arrêté du 2 avril 1919.

 

 Extraits de « La pêche à la morue » de Monsieur BRONKHORST

Administrateur des Affaires Maritimes

Source Archimer (Archives d’Ifremer)

 

 

 

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