La grande pêche au début du XX° siècle

 

LES CHALUTIERS

 

    1°) Le bateau.

    C'est en 1904, rappelons-le en passant, que les chalutiers à vapeur qui fréquentaient déjà, depuis l'année précédente, les mers d'Islande, firent leur apparition sur les bancs de Terre-Neuve.

    Au début, et, particulièrement en 1909, à la suite des résultats remarquables, obtenus par les chalutiers au cours de la campagne 1908, on envoya sur les bancs les chalutiers construits pour l'Islande et même quelques bâtiments armés d'ordinaire à la pêche du poisson frais dans la mer du Nord ; l'un de ceux-ci : le « Sirus » ne dépassait pas 29 tonnes ! Il arriva d'ailleurs à Saint-Pierre sans charbon.

    A cette époque, le tonnage moyen des chalutiers de Grande Pêche oscillait entre 70 et 100 tonnes ; quatre d'entre eux seulement jaugeaient de 110 à 150 tonnes, deux, de 150 à 197 tonnes ; seule, « l'Amérique » atteignait 200 tonnes.

    L'expérience démontra que l'exploitation des petits chalutiers était peu intéressante ; ils ne réussissaient que difficilement à couvrir leurs frais. Ils ne pouvaient, en effet, tenir la mer par les gros temps qui se produisent sur les bancs dans l'arrière saison, et la durée de leur pêche s'en trouvait réduite d'autant. Ils étaient, d'autre part, obligés de revenir fréquemment à Saint-Pierre pour y déposer leur pêche et s'y ravitailler ; ils perdaient ainsi un temps précieux au moment où le poisson donne, et consommaient en route une quantité importante de charbon. D'une façon générale, il est reconnu d'ailleurs que les frais d'armement, d'entretien de l'équipage et des engins et appareils de pêche et, dans l'ensemble, tous les frais généraux, sont proportionnellement plus élevés pour les petits bâtiments.

    On reconnut rapidement, qu'au point de vue de la traversée, comme aussi de la sécurité de la navigation et du rendement de la pêche, des navires de 150 à 200 tonnes s'imposaient. Après la guerre, en 1919, le cours élevé de la morue décida les armateurs à envoyer sur les bancs des chalutiers de tout tonnage, mais cette fois encore, le rendement des petites unités, quand il ne fut pas déficitaire, fut nettement inférieur à la moyenne des autres.

    Les chalutiers actuels ont une jauge brute qui varie généralement, entre 400 et 800 tonnes, les derniers entrés en service dans le courant de 1926, atteignent 2.000 tonneaux ; les plus petits, « la Provence » et «  l’Uranus » du Havre font, respectivement 129 et 156 tonnes. Leur machine, d'une puissance de 700 à 800 CV leur permet de réaliser, en route libre, des vitesses de 10 à 12 nœuds.

 

    Voici, d'ailleurs, les caractéristiques du chalutier « Normandie », armateur« Les Pêcheries de Fécamp », type des chalutiers de grande pêche.

 

                         Jauge brute totale                                            622 tonnes

                          Longueur                                                          55 mètres

                          Largeur                                                               8 m. 25

                          Creux sur quille                                                   5 m. 50

                          Puissance des machines                                  780 CV.

 

Le chalutier « Islande », le plus grand des chalutiers actuellement à flot, présente les caractéristiques suivantes :

                         Jauge brute totale                                           1033 tonnes

                          Longueur totale                                                 68 mètres

                          Largeur                                                             10 m. 40

                          Creux sur quille                                                   5 m. 60

                          Puissance des machines                               1.000 CV.

                          Vitesse                                                             11 nœuds

                          Capacité des soutes à charbon                         700 tonnes

                          Capacité totale des cales à poissons              1.100 m3, permettant d'embarquer 15.000 quintaux de morue.

 

    En outre, un dispositif pour la récupération de l'huile de foie de morue pharmaceutique est installé à bord et permet de produire, au cours de la campagne annuelle, 30 tonnes environ d'huile préparée sur les lieux de pêche. Le treuil de pêche permet la relève d'un chalut chargé de 30 tonnes de poisson. Les emménagements sont munis de chauffage à la vapeur. Enfin, l'éclairage électrique existe dans tout le bâtiment, tant dans les logements que sur le pont, pour assurer le travail de nuit.

    Construits en acier, les chalutiers de grande pèche proviennent principalement des chantiers d'Aberdeen, North Shields, Selbby, Hull, ou de ceux de Dunkerque, Le Havre, Nantes, Bordeaux. Les chantiers anglais semblaient avoir la préférence et, de fait, pendant longtemps, spécialisés dans cette branche de la construction navale, ils avaient acquis une véritable maîtrise ; toutefois, nos constructeurs français ne restaient pas inactifs; certains se spécialisaient, et ils peuvent offrir aux armateurs toutes les garanties de bonne construction et de parfait aménagement.  La hausse de la devise anglaise aura eu cet heureux résultat d'amener les armateurs à la pêche française, à passer leurs commandes aux constructeurs de leur pays. Les ateliers et chantiers du Sud-ouest viennent de livrer une de nos plus fortes unités et la « Morue française » vient de passer aux Ateliers et Chantiers de la Seine Maritime la commande de deux grands chalutiers de 53 m. 40, destinés à la pêche à Terre-Neuve.

    Le grand chalutier « Islande », dont nous avons donné ci-dessus les caractéristiques, a été construit par les Chantiers navals français de Caen. « L'Alfred », de 2.000 tonnes, a été lancé à Nantes, l’  «  Adriatique » et le « Caucasique » au Trait. Ceux de ces bâtiments construits spécialement en vue de la Grande Pêche, présentent, au point de vue de la sécurité de la navigation, tous les perfectionnements désirables ; leur avant est bien défendu, et ils sont, notamment beaucoup mieux défendus par le travers des machines que les chalutiers principalement destinés à opérer au large des côtes de France. Ils sont divisés par des cloisons en 5 ou 6 compartiments étanches et sont munis de ballasts en certains endroits, ce qui leur donne quelque sécurité en cas d'échouage ou d'abordage. Leurs dispositions intérieures sont sensiblement les mêmes. La coque contient, généralement, cinq à six compartiments étanches.

    A l'extrémité avant se trouvent les postes d'équipage, affectés aux hommes de pont et pêcheurs. La plupart des chalutiers qui nous occupent,  possèdent, en effet, à l'avant, deux postes superposés, disposition nécessaire pour permettre le logement du personnel considérable que nécessitent les opérations de la pêche et la préparation du poisson. Le poste supérieur, sous la teugue, est haut d'étage, bien aéré et éclairé nous ne pouvons en dire autant, malheureusement, du poste inférieur, qui n'a pas toujours des hublots et ne reçoit la lumière que par le panneau de descente. Sur beaucoup d'entre eux, les couchettes sont encore superposées trois par trois, ce qui est défectueux. Sous les postes et sur l'arrière on trouve le magasin et la cambuse d'accès difficile en général. Derrière ce compartiment s'étend la cale à poisson qui s'appuie à la soute de réserve, reliée elle-même par un tunnel au compartiment des machines. La cale à poissons doit être suffisamment vaste pour permettre au navire un long séjour à la mer ; celles des nouveaux chalutiers de la Morue Française, auront un volume de 520 m3 et pourront loger 400 tonnes de morues.

   

 
 

     Les bâtiments n'ont jamais qu'une chaudière et une machine, ce qui est un grave défaut, pour des navires faisant des traversées de plus de 2.000 milles.

    La chaufferie et la machine ne forment qu'un seul compartiment étanche, clair et bien ventilé. La vapeur est fournie par une chaudière multitubulaire simple, dont le timbre varie de 12 à 14 kilos; en abord de la chaudière se trouvent deux soutes latérales. La machine alternative est, en général, à triple expansion, elle ne doit fonctionner qu'à une allure lente (100 tours à la minute). Le dernier compartiment, en arrière de la machine est, en général, occupé par le poste arrière, affecté au logement des mécaniciens et mieux aéré que le poste avant, mais prête aux mêmes critiques, touchant la superposition des couchettes. Tous ces compartiments sont, en généra, éclairés à l'électricité et, sur certaines unités chauffés au moyen de radiateurs.

    Les chalutiers possèdent une mâture réduite, portant deux goélettes qui permettent d'appuyer le bâtiment par grosse mer, mais ne peuvent être de grand secours au cas d'avarie de machine.

    Sur le pont, en arrière de la cale à poissons, et en avant de la passerelle de navigation, se trouve le treuil de relevage du chalut.

    Le milieu du navire est occupé par une superstructure où se trouve la timonerie, la chambre des cartes, le poste de T. S. F., la chambre de l'opérateur, celles du Capitaine et du chef mécanicien. Là, également, et de plein pied avec le pont, sont disposés le carré et la cuisine avec sa cambuse journalière. Enfin, sur certains chalutiers, un troisième poste pouvant contenir 5 hommes, est placé autour du roof de la machine.

    C'est également sur ce roof que se trouvent placées les embarcations de sauvetage (deux canots en général) qui, de l'avis des commandants et officiers visiteurs des stationnaires, sont insuffisants pour contenir, en pratique, tout le personnel du bord, et trop fréquemment, ne peuvent être mis à la mer dans les délais prescrits. A ce point de vue, le voilier, avec tous ses doris pouvant se transformer, momentanément tout au moins, en embarcations de sauvetage, présente une supériorité sur le chalutier.

    Tous les chalutiers sont actuellement munis de postes leur permettant de recevoir les signaux radiotélégraphiques ; certains ont même des postes émetteurs très puissants, tel celui du « Neplunia », chalutier neuf de la Société Havraise de pêche qui a une portée de 5.000 kilomètres environ. Ces postes leur permettent de se transporter, sans plus attendre, vers les points où la pêche leur est signalée comme abondante, de tenir leur armateur au courant des résultats de la campagne, de solliciter ou de recevoir ses ordres ou instructions. De plus, quelques unités, parmi les plus importantes, sont munies de « radiogoniomètres » et de dispositifs d'appel automatiques. Par contre, à l'exception des derniers chalutiers mis en service qui possèdent une installation pour l'extraction de l'huile de foie de morue (Appareils chauffés à la vapeur d'eau), nos bâtiments de Grande Pèche ne sont pas outillés pour le traitement des déchets.

 

2°) Composition des équipages.

 

    Les chalutiers ont un équipage de 40 hommes environ se répartissant comme suit :

1 capitaine ;

1 second ;

1 lieutenant ;

3 mécaniciens ;

3 trancheurs ;

2 saleurs ;

3 ramendeurs ;

1 cuisinier :

2 novices ;

2 mousses ;

23 matelots sans spécialité, chauffeurs et soutiers ;

1 T. S. F.

 

    Sur certains d'entre eux, comme le Maroc de Bordeaux, on compte jusqu'à 53 hommes. Dans ces effectifs sont compris parfois les hommes affectés à terre lorsque les armateurs arment avec sécherie. Si l'on excepte Fécamp qui, jusqu'à cette année, assurait pour les 4/5 l'armement de ses navires de Grande Pêche, chalutiers et voiliers, et Saint-Malo qui est la pépinière des terre-neuvas, on peut constater que les armateurs des autres ports morutiers sont obligés pour constituer ou, tout au moins, compléter leurs équipages et recruter leurs spécialistes, de s'adresser aux réservoirs inépuisables en marins éprouvés et en pêcheurs habiles que sont les quartiers bretons.

     Les Boulonnais n'ont pu se faire aux conditions pénibles de la Grande Pêche et, particulièrement à la longueur des campagnes et sur le seul chalutier qui arme encore dans notre grand port du Nord, on ne rencontre que quelques Boulonnais parmi des Fécampois et des Bretons.

    A Fécamp même, il a fallu pour assurer l'armement des nouveaux chalutiers devant participer à la campagne 1926, faire appel aux quartiers bretons qui ont pu, d'ailleurs, fournir et amplement, l'appoint que l'on attendait d'eux, évitant ainsi aux armateurs l'obligation de faire appel à la main-d’œuvre norvégienne, ainsi qu'ils l'avaient primitivement envisagé. Tout le personnel chauffeur provient également des quartiers bretons. Il en est de même des officiers mécaniciens à l'exception de quelques-uns d'entre eux, originaires du Havre. Il n'est guère, avons-nous dit, qu'à Saint-Malo où l'armement trouve sur place ou dans les environs immédiats —Granville, Cancale, Dinan, Saint-Brieuc, les spécialistes et autres qui lui sont nécessaires. C'est dans ces mêmes quartiers que viennent recruter leurs équipages les capitaines des chalutiers armant au Havre, à Rochefort, Bordeaux et Arcachon.

 

Le chalut.

 

     Les chaluts employés pour la pêche sur les bancs sont des chaluts à plateaux, se rattachant pour la plupart au type « Vigneron-Dahl ».

Les dimensions du chalut employé par les Fécampois sont les suivantes :

Bourrelet : 45 à 50 mètres.

Ralingue de bâton ou de dos : 30 à 34 mitres.

Ralingue de côté : 48 mètres.

Dimension des panneaux : 1 m. 40 — sur 3 mètres.

 

     Les chalutiers de Boulogne emploient le grand chalut type « Boulonnais ».

     Mentionnons également le chalut à 3 câbles, inventé par le capitaine Georges Caron de Fécamp, qui diffère des chaluts ordinaires en ce  sens, qu'une aile montante, ou cerf-volant, lui permet de pêcher jusqu'à 18 à 20 mètres du fond, alors qu'avec les chaluts ordinaires, il n'est pas possible de pêcher à plus de 1 m. 60 à 1 m. 70. Ce chalut permet donc de capturer la morue, même quand elle se trouve, entre deux eaux.

    Les gros chalutiers embarquent au départ 6 chaluts, huit planches de chalut, des pièces du filet et du matériel de réparation. Les chalutiers ne travaillent, en général, que la nuit, car la morue se rapprochant alors du fond, c'est le moment où le rendement est le meilleur. La durée du trait du chalut dépend à la fois de l'abondance de la pêche et de la nature du fond,  elle varie de 1 à 2 heures en moyenne. 1 à 5 traits de chaluts, s'ils sont heureux, amènent la capture de 6 à 8.000 poissons qui nécessitent pour leur préparation un travail d'au moins 12 heures.

    Dans l'ensemble, la moyenne des chalutiers dépasse 100 quintaux par jour. Certains grands chalutiers font parfois des coups de chalut de 25 tonnes environ. Sauf à bord des grands chalutiers qui ont un équipage assez nombreux pour permettre la constitution de deux équipes travaillant alternativement chacune pendant 2 heures, les capitaines sont donc obligés de se limiter à ce nombre, sous peine de voir leur pêche se gâter, faute d'être préparée en temps utile. Aussi a-t-on préconisé une entente entre chalutiers et voiliers, celui-ci servant de magasin et d'atelier de salage à celui-là, tout en péchant pour son propre compte, M. Kerzoncuf signale que cette association du chalutier et du voilier a été amorcée au cours de quelques campagnes de pêche, et que des échanges ont été faits, Le voilier prêtant sa main-d’œuvre, et le chalutier payant celle-ci en poisson serait désirable de voir cette entente se généraliser.

 

Extraits de « La pêche à la morue » de Monsieur BRONKHORST

Administrateur des Affaires Maritimes

Source Archimer (Archives d’Ifremer)

 

 

 

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